Les vases, en leur cœur, accueillent et restent fragiles
Le vase brisé
Le vase où meurt cette verveine
D’un coup d’éventail fut fêlé
Le coup dut l’effleurer à peine
Aucun bruit ne l’a révélé.
Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D’une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s’est épuisé
Personne encore ne s’en doute
N’y touchez pas, il est brisé.
Souvent aussi la main qu’on aime,
Effleurant le coeur, le meurtrit
Puis le coeur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt
Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde
Il est brisé, n’y touchez pas.
René-François Sully Prudhomme, Stances et poèmes, 1865