« Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité » (Nietzsche)
Se profilent à perte de vue
Des silhouettes en quête d’absolu
Sur la toile de l’inouï
Se peint la part invisible de la vie (M.Bonamy)
L’acte de peindre implique, en ce qui me concerne, à chaque fois, le franchissement du Rubicon, pas sans, passant le danger de m’y perdre.
Tel le funambule, j’avance sur le fil tendu dans un précaire équilibre grâce à un invisible balancier.
Au bout du rouleau, du pinceau, je tourne autour d’un objet en tentant de le libérer du poids de sa matérialité, en lui donnant un statut Autre .
Sorte de mise en sublime, de mise en abîme d’un réel qui me met en place d’invitée de marque dans un corps de peinture dont la trace essaie de saisir le mouvement, la sensualité au sens propre du terme .
« Peindre reste oublié derrière ce qui se peint dans ce qui se voit »
Cette déviation de la phrase de Lacan « Dire reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » s’est imposée pour parler de l’acte de peindre à partir de mon expérience…de peintre ….et de ma rencontre avec la matière, du mouvement qui m’anime, de ce corps qui n’est que le passeur d’une force étrangère et inquiétante, de ces traces «a-formes» sur la toile….. Ce qui anime le geste, reste oublié, s’efface sur la toile, se dissout derrière la matière qui en fait signe. Je me déplace peu ; le mouvement vient de l’intérieur et d’un extérieur qui me traverse.
Quatre temps rythment cette aventure
Temps 0
Je peins depuis toujours … dans ma tête !
J’imaginais des tableaux. Je peignais dans ma tête puis, empêtrée par l’inexistence d’une quelconque technique, je me suis lancée à reproduire des tableaux de Maître. Mais très vite j’abandonnais cette démarche imitative et intégrative, certes nécessaire, pour me risquer dans un acte de peinture plus personnel.
Tout a commencé à Istanbul, au « Divan », en novembre 2005 !
C’était un hôtel où artistes, écrivains et psychanalystes s’y animaient après des rudes journées de travail à l’université francophone de Galatasaray. J’y ai rencontré Danielle-Marie Lévy, psychanalyste et artiste.
Après quelques heures d’échange, je l’entends me dire : « Toi, tu es une artiste, il faut que tu peignes ! » .
Et elle me présenta ultérieurement Ben-Ami Koller.
Premier temps
Rencontre en 2006 avec Ben-Ami KOLLER « dont l’oeuvre dessinée et peinte envisage, dévisage, défigure, universalise l’être avec tant de finesse et justesse ».[1]
Premier stage de peinture.
Alors que j’étais immobilisée par le regard des autres, il me dressa une toile de deux mètres le long d’une porte à l’extérieur où il m’avait isolée du groupe. Là, je suis « entrée en peinture ». Je jetais, effaçais, rinçais, coulais, giclais la peinture qui ne devenait que traces des vibrations et du mouvement qui orchestraient mon geste.
Je n’étais que passeur de quelque chose qui m’échappait au moment même où cela s’offrait à ma saisie.
J’abandonnais très vite couteaux, pinceaux, brosses pour n’utiliser que mes doigts, mes mains, mes bras, mon corps.
Deux autres stages avec Ben-Ami dont un stage de nus avec modèle vivant.
En décembre Ben-Ami meurt brutalement alors que nous étions convenus d’organiser en 2008 à Clermont-Ferrand, un week-end sur le thème « le corps en souffrance » avec médecins, peintres et psychanalystes..
Après sa mort, deux ans sans toucher un pinceau ni éclabousser une toile, juste une exposition post-mortem de Ben-Ami, avec une œuvre de chacun de ses élèves, selon son souhait. J’accrochais celle qu’il avait trouvée originale, faite avec des tampons de papier de soie frottés dans un pot vide de peinture.
Au premier temps de la peinture, pas d’objet, du chaos, des traces, de la matière, qui échappent à la lecture.
Deuxième temps
Rencontre en 2010 avec Hervé THIBAULT, «… enchanteur de matières et d’objets innombrables, qui a désormais choisi la toile pour complice et asile de ses rêves, de ses fantasmes, et de ses souvenirs, dômes romains et buveurs de Marseille, blancheur des formes et ombres de silence. » [2]
Rencontre amicale avec une complicité du côté de l’inconscient : Hervé a longuement animé des ateliers dans différents services de psychiatrie.
Sept ans de peinture avec Hervé, d’exigences, sans compromission. Il m’a fait découvrir que la peinture pouvait être séduction, traces de mélancolie, susciter des interprétations …..Il m’a livré quelques secrets de techniques. Avec lui, j’ai trouvé ma « palette intérieure ».
Au deuxième temps de ma peinture, des formes apparaissent : objets, instruments de musique, natures mortes. Mais il s’impose que ces objets n’existent pas indépendamment les uns des autres : ils « s’intrusent » entre eux. J’éprouve la nécessité de les amputer d’une partie d’eux-mêmes pour qu’ils puissent s’entendre avec d’autres, danser, sonner ensemble.
Apparaissent des formes architecturales d’un précaire équilibre.
Troisième temps
Rencontre en 2017 avec Michèle LEPEER, peintre de « l’apparition-disparition » rend visible les invisibles et « … c’est avec l’éthique et l’esthétique comme garde-fous, qu’elle tente depuis plus de vingt-cinq ans de représenter, de re-présenter les enfants, les hommes et les femmes confrontés à des violences souvent extrêmes. »
[3]
C’est une rencontre amicale, picturale. La peinture de Michèle est traversée par un réel intérieur qui s’articule au cri désespéré d’une barbarie dénoncée picturalement.
Au troisième temps de ma peinture, surgissent des traits, des formes qui, quelquefois, s’affirment ou s’éclipsent. Rythmes, structures bien marquées, parfois au fusain compact pour que subsistent des traces tout au long du processus. Les fils se tendent peu à peu entre le monde intérieur et le support. Au plus près de soi, vers les autres.
Aujourd’hui
Je laisse la forme pour le trait, le mouvement, l’effacement…..
Ce n’est que récemment que j’ai baptisé du nom d’Amélie[4] celle qui peint : Amélie qui , étymologiquement, nomme ce qu’il en est de l’énergie qui passe dans le pinceau, ce qui se mobilise d’une énergie psychique qui passe par la vibration du trait. Une manière de nommer sous un nom propre la mise en acte d’une trace invisible mais présente, en attente de signature pour mobiliser une rencontre avec d’autres.
D’où la nécessité d’exposer, d’offrir au regard de l’Autre de façon à ce que cela fasse lien.
Expositions
Je dois ma première exposition, au Centre de Développement Culturel de Saint Martin de Crau, à Catherine Barbier et à Nabya Kasmi. Je les remercie vivement car cela a permis une sortie de l’intime.
Les réactions, interprétations, critiques, remarques, commentaires……le regard de l’Autre renvoient quelque chose de l’invisible de soi, de la traversée de l’abîme …., source d’un nouveau souffle d’inspiration.
La seconde a eu lieu «Ateliers d’Agora» à Eyguières
La troisième à Vinsobres dans l’atelier de Michèle Lepeer.